Lilia flotte, immobile, au sein de l'océan tiède. Elle attend le résultat de l'analyse des informations que vient de recevoir l'ensemble sonar magnétomètre intégré dans le casque de son scaphandre. A l'évidence les multiples systèmes informatiques qu'elle porte sur elle, et en elle, ne possèdent pas suffisamment de références pour interpréter seuls les données reçues. Ils ont donc demandé assistance à leurs homologues logés dans le petit sous-marin qu'elle vient de quitter. Lilia sait qu'au besoin elle pourrait bénéficier de toute la puissance du réseau mondial, mais il faudrait passer par la Terre éloignée de 50 interminables minutes " lumière ". Beaucoup trop long si les signaux reçus sont ceux d'un possible prédateur ou d'une créature susceptible de vouloir défendre son territoire.
Pour la première fois Lilia sent peser sur elle la terrible précarité de sa situation. Cette sortie " extra véhiculaire " destinée à tester l'équipement de plongée le plus sophistiqué jamais conçu a été décidée au dernier moment.
Les 40 heures passées depuis que ARTHUR, le petit sous-marin déposé par le SAGAN sur Europe, a entamé sa plongée au sein de l'océan qui recouvre toute sa surface défilent dans sa mémoire...
Dès l'atterrissage, les principales hypothèses élaborées à partir des mesures et sondages effectués lors des expéditions précédentes avaient trouvé confirmation.
Sous la surface d'Europe, une couche de glace épaisse de plusieurs dizaines de kilomètres, s'étend un océan liquide de près de 100 km de profondeur. Les énormes contraintes de marée dues à la proximité du géant Jupiter génèrent au sein du satellite un colossal dégagement de chaleur. Le fond de l'océan y atteint des températures de plusieurs centaines de degrés, à la limite de la vaporisation malgré la pression ambiante. Impossible à ARTHUR de se risquer jusque là : ses constructeurs l'avaient conçu pour résister à 30 atmosphères, ce qui, compte tenu de la faible gravité d'Europe, autorisait toutefois une profondeur supérieure à 20 km.
Un réseau de courants ascendants remonte les eaux chaudes en suivant des chemins tordus en immenses boucles par les forces de Coriolis. Les eaux refroidies regagnent ensuite le fond, fermant le cycle de l'équilibre thermique. A certains endroits les courants chauds ont profondément creusé la glace, créant de petits lacs liquides cernés de banquises. C'est par l'une de ces portes que ARTHUR s'était introduit.
La descente avait été lente. Afin d'éviter les turbulences et le risque d'être entraîné sans espoir de retour vers le fond, l'équipage du petit submersible avait décidé de naviguer face au courant tiède ascendant. De plus, d'après les exo-biologistes, c'était au sein de ces courants que la probabilité de rencontres intéressantes était maximum.
L'option s'était vite révélée fructueuse : ARTHUR s'était trouvé enveloppé par des nuages de particules scintillant dans la lumière des projecteurs comme de la poussière métallique. L'examen des échantillons, rapidement prélevés et stockés dans des conteneurs anti-contamination scellés, avait déclenché des hurlements d'enthousiasme chez l'équipage : des chaînes de macromolécules organiques, des microorganismes présentant une structure complexe, et pour certains, ce qui ressemblait fortement à des cils vibratoires ou à des flagelles ! Même si elle n'était pas aussi spectaculaire que celles imaginées par les récits de science fiction, l'expédition venait en quelques coups de filets de découvrir la première forme de vie extra terrestre.
Des mois, sinon des années, d'études complémentaires seraient nécessaires pour extraire toutes les informations contenues dans cette première moisson, établir un modèle explicatif de la biochimie d'Europe et élucider l'origine des molécules organiques et de l'oxygène. Toutefois, l'outillage d'analyse d'ARTHUR avait déjà répondu aux principales interrogations : les " particules " étaient vivantes, la vie était basée sur les mêmes complexes d'acides aminés que sur terre, et elle bénéficiait des colossales ressources énergétiques d'une biochimie basée sur l'oxygène.
Sur terre les micros-organismes représentent une des bases de la chaîne alimentaire. Leur découverte avait donc fait naître chez l'équipage l'espoir d'une découverte ultérieure de représentants plus complexes. Là encore cet espoir avait trouvé sa concrétisation au-delà des 5000 mètres.
En apercevant les premières créatures européennes évoluées, l'équipage crût être la victime d'un canular : dans la lumière des projecteurs grimpait une escadre de montgolfières ! Sous un corps translucide en forme de ballon de 3 à 4 mètres de diamètre, une nacelle cylindrique d'un demi mètre de diamètre était suspendue par une dizaine de longs et minces filaments. Les " ballons " semblaient gonflés de gaz, expliquant leur ascension rapide.
Un peu plus bas, un groupe de nacelles identiques, mais suspendues cette fois à ce qui évoquait irrésistiblement un parachute en torche descendait à contre courant. Sur leur face inférieure s'ouvrait une large ouverture circulaire par laquelle les nacelles engouffraient les micros organismes, laissant l'eau s'évacuer à travers un réseau d'ouies disposées sur la face supérieure. Ce fût en voyant l'une des montgolfières, arrivée au point culminant de son périple, dégonfler son ballon et se laisser couler en ouvrant sa " bouche " à travers le courant nourricier, que l'équipage comprit qu'il s'agissait de la même créature.
Les montgolfières accompagnèrent ARTHUR jusqu'à une profondeur de 15 kilomètres, puis, vers 20 km de profondeur une nouvelle espèce fit son apparition.
Décidément les analogies aéronautiques semblaient faire florès sur Europe. Les nouveaux arrivants, baptisés les " chasseurs " par l'équipage offraient de troublantes similitudes avec leurs homologues terriens. Ils se propulsaient par réaction, chassant à l'aide d'un ensemble de tuyères l'eau admise à travers une ouverture annulaire située à l'avant de leur corps cylindrique et lisse. Cette ouverture ne semblait servir qu'à la propulsion, car sous le corps des chasseurs étaient accrochées des poches à l'aspect incongru de sacs à provisions, elles aussi ouvertes vers l'avant, filtrant les particules à travers leur paroi de fines mailles. Les " chasseurs " partageaient, en apparence sans conflit, leur territoire et leur nourriture avec de larges " filets " qui ondoyaient comme des voiles légères à travers le nuage de nourriture.
Pendant de longues heures l'équipage d'ARTHUR étudia le comportement des créatures, regrettant que leur taille ne permette pas d'en prélever une pour examen. Ulcérée par cette impossibilité d'une observation approfondie, Lilia soumit alors au reste de l'équipage une proposition qui provoqua dans un premier temps un refus immédiat et scandalisé de ses deux équipiers.
L'évolution sociale avait rendu courante les triades, voire les groupes encore plus complexes, comme elle avait d'ailleurs aussi favorisé l'émergence des communautés intégristes qui les vouaient aux gémonies. Cette situation avait été jugée favorable par les responsables de l'expédition, car elle consolidait la solidarité et l'équilibre relationnel d'une équipe soumise à des conditions de stress et de risques intenses.
Dans le cas présent Lilia estimait que ces liens jouaient à son désavantage. Elle interprétait l'attitude de Sean, le pilote, comme une conséquence des sentiments qu'il lui vouait. Le refus de Djamilah, chef de l'expédition, reposait certainement, même si elle le justifiait par des raisons " objectives ", reposait probablement sur les mêmes raisons.
Lilia savait négocier. Elle choisit d'argumenter sur le seul plan technique, et de démontrer que les risques évoqués restaient maîtrisables à l'aide des moyens dont elle disposerait.
La nouvelle génération de scaphandres autonomes était conçue sur la base d'une combinaison conçue à partir des récents hybrides de carbone, de céramiques et de métaux intelligents à mémoire de forme contrôlée. Les fibres du costume exactement ajusté à son corps présentaient une rigidité presque infinie aux contraintes transversales exercée par la pression hydrostatique, mais cédaient sans résistance aux efforts longitudinaux.
Le scaphandre pouvait ainsi isoler le plongeur des effets d'une pression de plusieurs centaines d'atmosphères, tout en offrant aux articulations la souplesse d'un cuir épais. Maintenu ainsi à la pression atmosphérique terrestre, le plongeur bénéficiait d'une large autonomie respiratoire, et n'avait pas à se soucier des problèmes qu'avaient connu ses prédécesseurs : narcose, paliers, risques de surpression...
L'informatique embarquée dans le scaphandre assurait la détection dans un rayon de plusieurs centaines de mètres de tout mouvement anormal. Couplé aux petits moteurs à hydro-réaction, il permettait également de rester stabilisé dans les trois dimensions quels que soient les turbulences ou les courants. Enfin, et ce n'était pas le moins rassurant, même blessée ou inconsciente, le scaphandre saurait la ramener automatiquement à ARTHUR.
Si le scaphandre isolait le plongeur du milieu extérieur agressif, ses équipements de communication couplés à des implants intra crâniens, fournissait un cordon ombilical psychologique essentiel avec le reste du monde. La stimulation directe des centres nerveux simulait un dialogue avec un interlocuteur physiquement présent. Le système pouvait même transmettre des images et des odeurs, et aurait même pu faire plus sans la limitation imposée par le milieu marin au débit de communication des ondes très basse fréquence.
Sur Terre, sans ce frein, des utilisateurs entraînés savaient aller au-delà. Comme leurs prédécesseurs, les bio ingénieurs qui avaient conçu la stimulation directe des centres sensoriels n'avaient pas imaginé tout le potentiel de leurs trouvailles.
Des communautés virtuelles se livraient aux délices d'échanges beaucoup plus excitants, communiant dans le partage de vagues d'émotions fortes. Comme on pouvait s'y attendre beaucoup de ces communautés privilégiaient toutes les formes de stimulations : le sexe inévitablement, mais aussi ce qui était plus surprenant, et aussi plus inquiétant, la ferveur mystique. Les sectes pullulaient, et avec elles des mouvements de folie ravageurs.
En quelques dizaines de minutes de négociation, Lilia avait obtenu l'accord de ses compagnons, à défaut de leur adhésion entière, et une demi-heure plus tard, saturée de conseils et de recommandations, elle s'était retrouvée seule dans le sas. Elle savait qu'elle n'aurait droit qu'à une seule tentative, les manœuvres d'équilibrage sous les 30 kg de pression qui régnaient à 20 km de fond consommeraient une colossale quantité des précieuses ressources en air et en énergie d'ARTHUR. Elle avait aussi du accepter les ultimes conditions de Djamilah : la sortie aurait lieu à la frontière du courant chaud, suffisamment loin des risques de turbulence et surtout de la présence d'un éventuel prédateur de ballons et de chasseurs dont on ne pouvait savoir s'il conserverait leur apparente placidité.
Lilia s'était abritée derrière l'épais bouclier prévu à cet effet pendant le remplissage du sas: l'eau sous pression frappait et ébranlait les parois avec une inquiétante violence. L'équilibre atteint, Sean avait déclenché l'ouverture de la porte, permettant à Lilia de se glisser dans l'obscurité où depuis elle attend….
Lilia se sent submergée par une vague de nostalgie au souvenir de ses plongées dans les océans terrestres. Elle avait été initiée puis guidée par sa mère et son père dès qu'elle avait su barboter à peu près honorablement. Elle éprouve une subite envie de partager avec eux l'émotion qu'elle ressent et leur envoie, au travers des 50 minutes lumière qui les séparent, un bref message d'amour et de reconnaissance. Elle se remémore leur enseignement : maîtrise de la stabilisation, respiration utilisation du gilet, technique de palmage, décompression,...toutes choses qu'ici, et elle ne peut s'empêcher d'en éprouver une légère frustration, son équipement gère pour elle en toute autonomie.
Lilia est suspendue au cœur d'une bulle vide. L'isolement du scaphandre, la souplesse de la propulsion et de la stabilisation automatique ne renvoient aucune sensation physique, juste quelques données froides et objectives... Sean et Djamilah, dont elle perçoit l'affectueuse présence, restent silencieux. Elle se dirige à vitesse réduite vers la frontière du courant chaud que les projecteurs d'ARTHUR dessinent comme une paroi mouvante et floue, et s'immobilise quelques mètres avant de l'atteindre.
Durant de longues minutes elle contemple le spectacle offert par la zone illuminée. Sean et Djamilah partagent sa fascination devant les images : les habitants du courant dansent dans le nuage de nourriture un étrange ballet à trois dimensions : vertical pour les montgolfières, horizontal pour les chasseurs et les filets : une harmonie de mouvement qui semble sans fin.
Brutalement la chorégraphie se désagrège, Lilia sent une onde de panique balayer la colonie : les montgolfières ont dégonflé leurs enveloppes et se laissent dériver, sans mouvement, au gré du courant, les chasseurs et les filets tentent également, avec beaucoup moins de grâce, de faire de même.
Simultanément et à trois reprises, les lumières d'ARTHUR vacillent et, pendant une longue seconde, les systèmes de communication et les contrôles du scaphandre cessent de fonctionner. Saturé d'adrénaline, le cœur de Lilia accélère, cogne, puis son entraînement reprend le dessus : tous les sens en éveil, elle se prépare à affronter l'inconnu.
Au sein d'ARTHUR, ses équipiers, assistés par les contrôleurs du SAGAN 20 km plus haut, se plongent dans l'analyse du flot de données issu des abysses.
Il n'y a plus une seule trace de subjectivité dans les échanges entre le sous-marin et la plongeuse, une rafale de questions et d'hypothèse et en moins de 15 secondes la stratégie est arrêtée.
- Qu'est ce que c'est ?
- 20 mètres de diamètre, à 500 mètres en dessous de toi, et cela monte très vite : cela sera sur toi dans 30 secondes. Trois émissions très basse fréquence, suffisamment puissantes pour saturer nos circuits.
- Écho location ? Une attaque ?
- Peut être, danger, déclenche immédiatement le retour automatique.
- C'est trop tard, je suis à 3 minutes du sas, et.. Attendez, toutes les créatures se sont immobilisées, et si c'était une stratégie de défense ? , Si " il " était sensible au mouvement ?
- ... Oui, c'est possible : et de toute façon maintenant c'est le moins risqué, à Rome on fait comme les Romains… : on bloque tout mouvement et toute émission électromagnétique. Ne garde que ta stabilisation verticale, on coupe tout sauf les projecteurs : " ils " sont tous aveugles ici. Courage... Je t'aime...
- ...
- ...
Toutes communications coupées, c'est la première fois depuis les entraînements sur Terre que Lilia est aussi isolée, mais là bas les bassins de simulation ne dissimulaient pas de prédateurs inconnus.
Lilia avait espéré que le visiteur conserverait sa vitesse initiale et éviterait de s'attarder auprès d'elle. Malheureusement il n'en est rien. Les précautions ont-elles été tardives ? Où le visiteur dispose-t-il de sens perfectionnés ? Toujours est-il que les détecteurs du scaphandre indiquent que sa vitesse s'est réduite à quelques mètres/secondes : la rencontre est inéluctable.
A la limite de la zone illuminée se dessine un immense losange sombre. Les détails se précisent rapidement, Lilia étouffe un cri de surprise : elle a déjà vécu cette rencontre il y a plus de 20 ans !
C'était juste avant la submersion catastrophique de 2020. Pour son anniversaire ses parents l'avaient emmenée aux Maldives, l'un des derniers paradis sous-marins. Les premiers jours avaient été difficiles, elle maîtrisait mal la technique des plongées dans le courant, et l'énergie consacrée à affronter les difficultés l'avait au début empêchée de jouir pleinement du spectacle. Mais une semaine après, sur " Mantas point ", Lilia était fin prête, les Mantas également. !
Jamais plus elle n'avait oublié le vol fantastique de ces géantes indifférentes. Il hantait régulièrement ses rêves de plongeuse, et voilà qu'ils prenaient corps aujourd'hui à 900 millions de kilomètres des atolls engloutis.
30 secondes après sa première apparition, la similitude avec les Mantas s'est estompée. Certes la créature est dotée de deux immenses ailes triangulaires et ondoie du même vol gracieux que ses homologues " Terriennes ", mais l'aspect de son " dos ", ou du moins de la face tournée vers le haut, dément la ressemblance : Une large ouverture circulaire centrale, ceinte de six bosses hémisphériques disposées régulièrement. Chaque bosse mesure environ un mètre de diamètre et évoque, assez étrangement les antennes sonar d'ARTHUR : Lilia ne se doute pas encore combien elle est proche de la vérité !
Le temps s'arrête: La Manta vient de stopper son ascension trente mètres en dessous, rejoignant ainsi dans l'immobilité les autres habitants du courant, ARTHUR, et la plongeuse isolée. De longues secondes s'écoulent pendant que Lilia détaillent le visiteur à loisir : " le calme avant l'orage " pense-t-elle.
Cette fois l'attaque est si fulgurante que Lilia n'a pas le temps d'avoir peur : une demi-sphère translucide naît brutalement autour de chaque " antenne " et grimpe, en se dilatant, à une vitesse vertigineuse. C'est en voyant les soubresauts des créatures atteintes par les bulles que Lilia comprend ce qui se passe : la Manta a émis une puissante onde sonore qui diffracte la lumière des projecteurs et déchire les fragiles organes de stabilisation. Lilia elle-même a senti, malgré la protection de son vêtement, ses organes internes vibrer douloureusement sous l'impact.
Le scaphandre réagit et compense le déplacement. L'une des montgolfières n'a pas eu cette chance : un long filament projeté depuis le dos de la Manta l'enveloppe et la tire vers l'ouverture dorsale qui l'absorbe d'un coup. Le drame est terminé lorsque que l'adrénaline envahit à nouveau la plongeuse. Elle se force à expirer lentement pour maîtriser le tremblement qui l'a envahi. Le ventre douloureux, le cœur battant la chamade, la bouche emplie du goût du sang de sa langue mordue, et pour couronner le tout sa vessie qui s'est vidée sous le choc : Lilia doute de savoir maîtriser sa panique si une deuxième attaque doit survenir.
Heureusement tout est calme. Le scaphandre qui a détecté le stress de Lilia l'alimente maintenant en oxygène pur. Elle reprend contrôle d'elle même, et peu à peu se détend. Elle se laisse même gagner par une euphorie inattendue à la quelle l'oxygène n'est pas étranger : elle ne va tout de même pas se laisser pêcher par un poisson !
Les instruments lui ont signalé avant que ses yeux l'aient perçu : la Manta à repris son voyage vers le haut et accélère : un bref instant elle voit l'ondulation des ailes gigantesques, puis le prédateur disparaît dans l'obscurité tandis que les habitants du courant reprennent, comme si rien ne s'était passé, leur activité habituelle : le tribut est payé, la vie continue.
Lilia n'attend pas une deuxième visite. Elle déclenche le système de retour d'urgence, et le scaphandre l'entraîne rapidement vers la porte du sas qui commence à s'ouvrir. Le flot d'information sature à nouveaux ses récepteurs réactivés : encouragements, amour, inquiétude...
Pendant que l'air expulse l'eau du sas, Lilia se sent plaquée au sol par l'accélération : Arthur entame une remontée à grande vitesse. La plongeuse sait qu'elle va bientôt retrouver le contact affectueux de ses amis, mais elle dispose d'encore un peu de temps avant que l'air pressurisé soit réabsorbé par les pompes pour se re équilibrer avec la pression ambiante d'Arthur : Elle le met à profit pour émettre tranquillement un message personnel.
Elle sélectionne parmi toutes les séquences mémorisées les quelques secondes les plus spectaculaires du vol de la visiteuse, les accompagne d'un bref message et demande la transmission immédiate du tout : au diable le contingentement en bande passante, elle l'a bien mérité.
"Papa, Maman, regardez ça, et dites-moi donc si vous aviez déjà reçu l'équivalent des Maldives ? Je vous aime"
Nous rentrions de Nevis vers la Guadeloupe, et notre route croisait une île assez fantastique, une sorte de dent étroite de 300 mètres de haut, plantée en plein alizé, et qui fût paraît il le fief d'un Irlandais devenu fou. Le cailloux qui se nomme Redonda est aujourd'hui placé sous l'autorité d'Antigua, petit état-île indépendant que nous avions visité trois jours auparavant.
(il existe également un farfelu qui s'est autoproclamé "Roi de Redonda" et à fait l'objet d'une émission de Thalassa. Cela n'étonnera personne de savoir qu'il est anglais et n'a jamais mis les pieds sur son "royaume").
L'île est totalement abandonnée, uniquement peuplée d'oiseaux de mer, couverte de guano, et ne bénéficie d'aucun abri. Mais son aspect étrange et fantomatique, ainsi que la mention du guide des Antilles : "... des fonds encore poissonneux car peu fréquentés". nous avaient fascinés et attirés.
Peu fréquentés certes : le mouillage y est difficile, car comme on ne peut ancrer en toute sécurité un voilier lourd que dans quelques mètres d'eau, l'inclinaison brutale des fonds aux alentours de l'île impose de se rapprocher au plus près de la falaise, bien entendu du côté abrité du vent. Ce jour là la force de l'alizé et la forme particulière de l'île créaient sous le vent de la falaise un effet d'aspiration particulièrement inquiétant, mais nous avions fini par immobiliser notre bateau en sécurité aux alentours de 16 heures au pied de l'impressionnant mur de 300 mètres et sous le piaillement des sales bêtes à plumes.
Il nous restait une heure de lumière : trois plongeurs s'immergèrent donc rapidement, laissant un autre en surveillance PMT en surface, et deux volontaires à la surveillance du bateau et surtout à la préparation du Ti Punch.
Nous avions déjà fait des plongées avec des peuplements plus riches sur des sites préparés, mais celle là était totalement exploratoire, et puis elle fût bien loin d'être ridicule : à peine 12 à 15 mètre de fond et tous les classiques des fonds tropicaux, plusieurs coffres, des langoustes, des mérous, ainsi que deux tortues. Nous ratâmes le clou : un petit requin que seul notre ami Louis, apnéiste en surface pût admirer !
Nous terminâmes la plongée avec la chute du jour en dégageant l'ancre coincée dans un dédale de roche. Le Ti punch vespéral n'avait jamais été aussi agréable : la qualité d'une plongée c'est aussi l'après plongée, et d'ailleurs ce n'était pas fini...
Après le repas, nous remontâmes l'ancre pour nous diriger en navigation de nuit vers la Guadeloupe. Une nuit magnifique avec quelque sautes de vent forts et des grains, le passage "au ras" de l'île de Montserrat, trahie par une puissante odeur d'hydrogène sulfuré qui révélait l'activité du volcan local (l'île a d'ailleurs été quasiment totalement évacuée suite à un risque important d'éruption récement), et enfin l'arrivé en vue de l'ilet Pigeon à la Guadeloupe au petit jour.
La cerise sur le gâteau, ce fût l'apparition d'une meute de plusieurs dizaines de dauphins jouant et sautant tout autour de nous. Le vent étant tombé, nous avions mis au moteur, et pendant près d'une demi heure, le bateau avançant seul sous pilote automatique, tout l'équipage massé sur les pointes avant des coques pût contempler ce spectacle fabuleux.
J'ai une petite croix dans mon carnet de plongée à la date du 8 août 1995.....
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